“Retour à Kinshasa” : un documentaire inédit pour tout comprendre de la situation en RDC

“Retour à Kinshasa” : un documentaire inédit pour tout comprendre de la situation en RDC

Marie Cailletet

Publié le 15/01/19 mis à jour le 08/12/20

© Les Films de l’oeil sauvage

Arte a mis en ligne l’excellent documentaire de Dieudo Hamadi, “Retour à Kinshsa”. Un film à voir absolument pour mieux comprendre la situation en République démocratique du Congo, au lendemain d’élections contestées qui ont vu Félix Tshisekedi succéder à Joseph Kabila.

Bien imprudent celui qui, à ce stade, peut prédire de quoi sera fait l’avenir de la République démocratique du Congo (RDC). Certes, la semaine passée, dans la nuit de mercredi à jeudi, la Commission électorale nationale indépendante (Céni) a proclamé la victoire à l’élection présidentielle de l’un des opposants, Félix Tshisekedi. L’amorce d’un processus d’alternance, après trois reports de scrutin, malgré un mandat du président Joseph Kabila arrivé à son terme en 2016 ? Ou l’entrée dans une délicate phase post-électorale ?

Même si cette transition par les urnes représente un réel espoir pour ce pays de 80 millions d’habitants, traumatisé par des conflits dévastateurs et en proie au virus Ebola dans les régions Est, des zones d’ombre entachent sa validité. Acteur majeur de la vie politique congolaise qui a œuvré à la tenue du scrutin, l’Eglise catholique a conjuré la Céni « de ne pas trahir la vérité des urnes. (…) Les résultats ne correspondent pas aux données collectées sur le terrain par notre mission d’observation ».

Selon ses décomptes, c’est Martin Fayulu, le candidat commun de l’opposition qui serait sorti en tête. D’abord partie prenante de cette coalition d’opposition, Felix Tshisekedi a rapidement rompu le pacte au profit d’un « ticket » avec Vital Kamerhe, ancien président de l’Assemblée nationale et ex-directeur de campagne de Kabila passé à l’opposition. Assurant, en cas de victoire du premier, la tête du gouvernement au second.

Et aux rumeurs de rapprochement entre le camp Kabila et le camp Tshisekedi ont très vite succédé les mains tendues ostensibles : « Je rends hommage au président Jospeh Kabila. Nous ne devons plus le considérer comme un adversaire mais comme un partenaire de l’alternance démocratique dans notre pays. »

Mais un petit accroc, dans ce scénario bien huilé, est intervenu dans la nuit de samedi à dimanche. La fameuse Céni a finalement rendu public le résultat des législatives. Le Parlement sera dominé par les pro-Kabila et si l’élection de Tshikedi est confirmée, il sera contraint à la cohabitation, puisque le Premier ministre doit être issu de la majorité.

Quant à Martin Fayulu, il a déposé sa requête en contestation des résultats à la Cour constitutionnelle samedi.

Personnel politique rôdé aux stratégies improbables pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir, pactes qui se tissent au-dessus de la tête des électeurs et des militants… Ce qui se joue aujourd’hui en RDC est magistralement conté dans l’exaltant film de Dieudo Hamadi, Retour à Kinshasa, qu’Arte vient de mettre en ligne sur son site, avant une prochaine diffusion sur son antenne.

Auteur en 2017 de Maman Colonelle, qui lui valut le Grand Prix du Cinéma du réel, le réalisateur congolais y filme, de l’intérieur, les mouvements d’opposition au régime de Kabila. Deux ans durant, de 2016 à 2018, il s’est ainsi attaché aux pas de trois militants luttant pour la tenue d'élections libres dans le pays et l'alternance politique alors que le président s’accrochait désespérément au pouvoir, y compris par la répression.

Souvent caméra à l'épaule, bande son saturée des tirs à balles réelles de la police, et scandée du souffle court du documentariste en fuite, le film montre, au plus près, les diverses tentatives de manifestation-soulèvement de la population. Militant de l’UDPS (le parti d’Etienne Tshisekedi, le père du candidat élu décédé en 2017) ou activistes de mouvements citoyens, Christian, Jean-Marie et Ben ont fait de la prison, ont été contraints à l’exil puis à la clandestinité et ont subi des détentions arbitraires dans les geôles des services de renseignement. Mais, souvent au grand dam de leurs parents qui leur conseillent de faire profil bas, ils s’entêtent à espérer un avenir démocratique pour leur pays.

Jouissant visiblement de la confiance de ses protagonistes, qui risquent à tout moment d’être arrêtés mais se livrent à visage découvert, le film met en lumière les débats stratégiques qui les agitent. Faut-il s'allier avec Tshisekedi ? Faut-il encore croire au dialogue que le vieux routard de la politique congolaise prône ? Et quand « celui qui n’est pas crédible, qui nous endort à chaque fois avec ses discours pour s’en mettre plein les poches » fait, à nouveau, volte-face en appelant ses troupes à sortir dans la rue, faut-il le suivre ? Faut-il préparer l'insurrection ? Quelle confiance accorder aux politiciens, englués depuis des années dans des revirements d'alliance et qui se moquent bien des aspirations de la population ?

Les trois amis s’engueulent, argumentent, se fâchent, tentent de refaire front commun et décident de passer à l’action pour « faire partir Kabila de force ». L’occasion d’une séquence hallucinante de préparation de masques artisanaux pour résister aux gaz lacrymogènes. Vibrant de leur révolte, de leur fol espoir pour le futur, l’enthousiasmant documentaire esquisse un portait de la société congolaise, ses revendications, ses interrogations, ses désillusions, ses impasses.

A ce jour, Jean-Marie, d’abord enlevé puis tenu au secret par les services de renseignement, a été libéré ; Ben a repris le chemin de l’exil. Quant à la situation de Christian, détenu depuis des mois dans une prison de Kinshasa, elle devrait évoluer. C’est le candidat du parti où il milite qui a été désigné vainqueur de la présidentielle.